Dans ce chapitre, l'attention se porte encore un peu sur Joseph Curwen. Il n'est pas étonnant que la fin d'une première section fasse encore entendre le thème "Joseph Curwen" :
Mais, finalement, l'attention se déporte plutôt sur Charles Dexter Ward et ses multiples tribulations généalogiques. La musique qui soutient toute la fin de la seconde section et assure la transition avec la troisième est jouée au piano. Une simple note répétée débute l'extrait, puis le thème "Jospeh Curwen" arrive dans le grave. La présentation est ici très calme, mais non moins pesante. Le temps s'étire... mais ne cède toujours pas la thématique "Ward", pourtant à l'oeuvre dans ce passage...
Les recherches de Ward se précisent : les excursions dans les cimetières, dans le but de retrouver la tombe de Curwen, se multiplient. La "quête macabre de la stèle inconnue" commence... Dans cet extrait, la rythmique des basses est particulière : elle fait entendre une répétition du ré, mais aussi un petit mouvement de va-et-vient ; il s'agit, ni plus ni moins, des notes "Ward".
C'est sur cette rythmique et thématique sous-jacentes que vient se poser le thème "Joseph Curwen". Les deux thèmes commencent dangereusement à se mélanger. Certes pas à se confondre, mais à se superposer : l'un soutient l'autre, l'autre s'appuie sur l'un...
L'épisode où Charles Dexter Ward quitte Providence pour faire un petit tour d'Europe fut l'occasion de s'amuser un peu avec les éléments thématiques. "Notre héros" quitte l'Amérique pour l'Angleterre, la France, la Tchéquie, l'Autriche et enfin la Transylvanie. Véritable voyage que je compte bien refléter dans la musique.
Pour la signature sonore de l'Angleterre, j'ai réutilisé l'un des célèbres thèmes de la Water Music de G. F. Haendel :
... mais transformé en mode mineur, et avec des intervalles pas toujours très "convenables" (un lab vient titiller l'oreille)...
Pour la France, c'est bien entendu les premières notes de la Marseillaise qui accueillent Charles Dexter Ward, mais, comme en Angleterre, jouées en mode mineur... en contre-chant, nous entendons un petit fragment de G. Bizet (Carmen, "l'amour est un oiseau rebelle")... oui, oui, nous sommes bien en France !
Arrivé en Tchéquie, nous entendons le thème du poème symphonique La Moldau de Smetana. Le thème est presque inchangé, si ce n'est la fin - et bien sûr l'environnement sonore beaucoup plus tourmenté et nettement moins romantique que l'original...
Pour l'Autriche, de nombreux noms de compositeurs nous viennent (sans jeu de mot) à l'esprit : Heinrich Ignaz Franz von Biber, Wolfgang Amadeus Mozart, Ludwig van Beethoven, Franz Schubert... allez, je n'ai pas fait dans la finesse, prenons Mozart... Smetana débouche immédiatement sur le thème de la 40e symphonie - normalement joué au violons, ici confié aux violoncelles/contrebasses, tandis que les parties aiguës (flûtes) font entendre le retentissant "Dies Irae" de son Requiem (messe des morts) :
La succession de tous ces fragments, dont l'intervention coïncide bien évidemment avec le récit, constitue le Voyage de Charles Dexter Ward :
Mais Ward retourne à Providence. Et là, son regard est émerveillé. Il est évident que nous avons là un Lovecraft qui ne peut s'empêcher de songer à son retour de New York... après le périple, le retour à la cité natale et réconfortante. Littérairement, cette idée fait écho à la Quête onirique de Kadath l'Inconnue, où Randolph Carter finit par "espérer Providence"... musicalement, j'ai voulu une évocation semblable.
Occasion de faire entendre le "thème de Providence" :
Il est ici basculé à la basse, et harmonisé à grand renfort de retards, appoggiatures et autres notes étrangères capables de rendre le passage le plus émotif et romantique possible. Partant d'un registre médium, les tessitures s'élargissent peu à peu pour couvrir la totalité du spectre sonore. La contemplation de Providence s'agrandit, et subjugue Ward.